samedi 4 décembre 2010

sers-toi comme tu veux




" - Je suis une trainée ".

c'est ce que j'ai répété trois fois à mon reflet, diffusé par le grand miroir de la salle de bain. Et plus je me regarde, plus je me dégoûte : d'y voir projeté l'image de mon corps minuscule et fragile, dissimulé derrière l'épaisse buée qui émane de la douche que je viens de prendre à la hâte. Me nettoyer, c'est la seule chose que je pouvais faire. Me frotter fort, me frotter pour enlever toute cette crasse invisible qui semble s'être accrochée à mes membres. Une crasse docile accumulée, entassée et stockée depuis ces quelques derniers jours entre toutes les pliures de ma peau virginale. Je suis nue, toute nue, je dégage une forte odeur de jasmin, le savon s'est incrusté dans ma peau, je me suis lavée 4 fois tout à l'heure, et pourtant je me sens encore sale. Lassée de ces douches répétitives, je me retrouve face à moi-même pétrifiée, et terrifiée par mon propre corps. Je n'ose plus faire un geste. De peur de délirer et de foncer dans ce miroir pour nous anéantir tous les deux.

" - Tu t'es faite troncher par Thibaut ? "

C'est ce qu'une nana m'a demandé mercredi dernier à la fac. C'était la première fois que je la voyais. Elle déboulait d'un couloir avec 3 amies à elle, j'ai d'abord eu l'impression qu'elles venaient de nulle part. Tout ce que j'ai compris, c'est que quelques secondes après cette question, une violente giclée de sang m'a fusillé les organes.

Je suis allée pisser aux chiottes du bâtiment des arts, et une fois enfermée entre les 4 cloisons grises, je me suis reposée la question ... "est-ce que je me suis faite troncher par Thibaut ? ". Il m'a semblait que la réponse était oui. Je ne sais d'où l'information est partie, ni comment cette dernière s'est propagée comme un virus dans l'encéphale vide de toutes les pétasses de la fac, et je ne sais pas qui d'autre encore était au courant. Je n'ai pas non plus compris de quel corps provenait le vomi qui croupissait à présent dans la cuvette des chiottes. C'est quand j'ai senti ce goût acide au creux de mes amygdales, que j'ai compris que c'est moi qui venait de gerber. Ca s'est passé en une seconde, pendant que je réfléchissais à la hâte, étouffée entre deux crises d'angoisse. Alors que je reprends mon souffle, j'me ressasse l'histoire. Elle est simple...

C'était à la soirée de Vendredi. Thibaut était dans la chambre avec moi. Je n'avais plus mes vêtements et l'alcool m'avait retourné la tronche. Tout ce dont je me rappelle, c'est que j'étais consentante pour Thibaut; pas pour les trois autres.

Connard






" - Connard ! "

C'est sorti comme un jet de merde de sa bouche virginale.

En l'espace d'un instant, aussi spontané et bref que le trajet du postillon qui est venu s'écraser contre ma joue en même temps que ses lèvres rouges prononçaient le mot "enfoiré", en cet espace, j'ai eu le temps de me poser une question, avant de la laisser enchaîner sur d'autres adjectifs mélioratifs du genre...

J'me suis demandé comment de pareilles merdes pouvaient sortir de ce corps si magnifique. Elle est en face de moi, entièrement nue. Et elle enchaîne encore ses conneries. Pourtant mon encéphale pédale dans le vide, je ne comprends plus la définition de "raté", de "putain" ni de "sous-merde". Je ne vois plus que son petit corps blanc et ses seins laiteux dont la chair translucide laisse apparaître de fines veines roses. Si je ne devais retenir qu'une chose de Manon, c'est bien l'entrelacement poétique de ses veines qui palpitent au grès de ses colères quotidiennes.

Elle sait que je hais ma vie, que je ne la donnerais même pas aux chacals qui forniquent avec les poubelles dans les rues glauques de la ville. Elle sait aussi que ce qui m'fait vibrer, c'est quand elle me réanime de coups agressifs. J'adule ses vulgarités qui me martèlent la tronche, un peu comme ses averses de grêlons glacés qui te tombent dessus sans crier garde.

Elle sait que je ne suis qu'un déchet, et elle me détruit sereinement à petit dose, elle aime ça... Et elle a raison. Si j'étais face à une merde comme moi, j'aurais été bien plus radicale, je me serais délecte de voir ma victime se putréfier au sol comme une flaque de vomi. Alors, je la laisse me traiter de connard, pour la voir se complaire dans sa magnificence et surtout, pour me voir crever définitivement, au milieu des déchets de la vie ordinaire.